D’où venait Gérard Bolitt ?
L’entrepreneur d’Hoedic avait déjà vécu plusieurs existences. Il avait beaucoup bourlingué, fondé deux familles, engendré cinq enfants et exercé des métiers fort divers : gardien de vaches, manœuvre, portier d’hôtel, professeur de danse, guide touristique, moniteur de sport, chasseur alpin, menuisier… Il venait de loin. Placé dans des fermes, il est initié très jeune aux mille tâches de la campagne.
Tenu à l’écart de l’instruction classique, il est tenaillé, l’âge adulte venant, par une soif impérieuse de connaissances. Tel un buvard, cet esprit touche-à-tout veut tout absorber. Il se jette sur les langues étrangères, les sciences naturelles, les sciences exactes, la philosophie. Animé d’une curiosité inextinguible, il se lie avec des hommes de savoir qui apprécient son enthousiasme et son ouverture d’esprit. Personnage inclassable, il incarne l’archétype de l’autodidacte accompli, issu de la caste de ces campagnards dégourdis du siècle dernier. Une espèce aujourd’hui irrémédiablement disparue. À Hoedic, les mains dans le ciment, Gérard Bolitt s’offrait à tous comme une encyclopédie vivante.
Il meurt en février 2007. L’île est plongée dans la tempête. Sa disparition laisse à vau-l’eau les forts courants d’affection dont il est la source.
L’interruption brutale de leurs échanges bouillonnants avec cet être atypique apparaît vite insupportable à ses amis, aussi différents que ses multiples vies. Ils décident alors de rassembler des écrits, souvenirs de leurs face-à-face, ainsi que des témoignages venus des quatre points cardinaux. Voici donc un portrait qui reconstitue un authentique personnage de roman, étrange, attachant, moderne : semblable peu ou prou au véritable, à l’insaisissable Gérard Bolitt, « Le complexe d’Hoëdic ».